C'est à travers de larges grilles, Que les femelles du canton, Contemplaient un puissant gorille, Sans souci du qu'en-dira-t-on. Avec impudeur, ces commères Lorgnaient même un endroit précis Que, rigoureusement ma mère M'a défendu de nommer ici... Gare au gorille !...
Tout à coup la prison bien close Où vivait le bel animal S'ouvre, on n'sait pourquoi. Je suppose Qu'on avait du la fermer mal. Le singe, en sortant de sa cage Dit "C'est aujourd'hui que j'le perds !" Il parlait de son pucelage, Vous aviez deviné, j'espère ! Gare au gorille !...
L'patron de la ménagerie Criait, éperdu : "Nom de nom ! C'est assommant car le gorille N'a jamais connu de guenon !" Dès que la féminine engeance Sut que le singe était puceau, Au lieu de profiter de la chance, Elle fit feu des deux fuseaux ! Gare au gorille !...
Celles là même qui, naguère, Le couvaient d'un œil décidé, Fuirent, prouvant qu'elles n'avaient guère De la suite dans les idées ; D'autant plus vaine était leur crainte, Que le gorille est un luron Supérieur à l'homme dans l'étreinte, Bien des femmes vous le diront ! Gare au gorille !...
Tout le monde se précipite Hors d'atteinte du singe en rut, Sauf une vielle décrépite Et un jeune juge en bois brut; Voyant que toutes se dérobent, Le quadrumane accéléra Son dandinement vers les robes De la vieille et du magistrat ! Gare au gorille !...
"Bah ! soupirait la centenaire, Qu'on puisse encore me désirer, Ce serait extraordinaire, Et, pour tout dire, inespéré !" ; Le juge pensait, impassible, "Qu'on me prenne pour une guenon, C'est complètement impossible..." La suite lui prouva que non ! Gare au gorille !...
Supposez que l'un de vous puisse être, Comme le singe, obligé de Violer un juge ou une ancêtre, Lequel choisirait-il des deux ? Qu'une alternative pareille, Un de ces quatres jours, m'échoie, C'est, j'en suis convaincu, la vieille Qui sera l'objet de mon choix ! Gare au gorille !...
Mais, par malheur, si le gorille Aux jeux de l'amour vaut son prix, On sait qu'en revanche il ne brille Ni par le goût, ni par l'esprit. Lors, au lieu d'opter pour la vieille, Comme l'aurait fait n'importe qui, Il saisit le juge à l'oreille Et l'entraîna dans un maquis ! Gare au gorille !...
La suite serait délectable, Malheureusement, je ne peux Pas la dire, et c'est regrettable, Ça nous aurait fait rire un peu ; Car le juge, au moment suprême, Criait : "Maman !", pleurait beaucoup, Comme l'homme auquel, le jour même, Il avait fait trancher le cou. Gare au gorille !...
Y'a tout à l'heur' quinze ans d'malheur mon vieux Léon Que tu es parti au paradis d'l'accordéon Parti bon train voir si l'bastringue et la java Avaient gardé droit de cité chez Jéhovah Quinze ans bientôt qu'musique au dos Tu t'en allais mener le bal à l'amical' des feux follets En cet asile par saint' Cécile pardonne-nous De n'avoir pas su faire cas de ton biniou.
C'est une erreur mais les joueurs d'accordéon Au grand jamais on ne les met au Panthéon Mon vieux, tu as dû t'contenter du champ de navets Sans grandes pompes et sans pompons et sans Ave Mais les copains suivaient l'sapin le coeur serré En rigolant pour faire semblant de n'pas pleurer Et dans nos coeurs pauvre joueur d'accordéon Il fait ma foi beaucoup moins froid qu'au Panthéon.
Depuis mon vieux qu'au fond des cieux tu as fait ton trou Il a coulé de l'eau sous les ponts de chez nous Les bons enfants d'la rue' de Vanves à la Gaîté L'un comme l'autre au gré des flots fur'nt emportés Mais aucun d'eux n'a fait fi de son temps jadis Tous sont restés du parti des myosotis Tous ces pierrots ont le coeur gros mon vieux Léon En entendant le moindre chant d'accordéon.
Quel temps fait-il chez les gentils de l'au-delà Les musiciens ont-ils enfin trouvé le la Et le p'tit bleu est-c'que ça n' le rend pas meilleur D'être servi au sein des vignes du Seigneur Si d'temps en temps une dam' d'antan s'laisse embrasser Sûr'ment papa que tu n'regrett' pas d'être passé Et si l'bon Dieu aim' tant soit peu l'accordéon Au firmament tu t'plais sûrement mon vieux Léon